Le jardin japonnais

par | 15 Déc 2021 | MES TEXTES

Le texte suivant a été retenu pour concourir chez short-edition.

Qualifié
72h 2021

Voir tous mes textes retenus chez short-edition …


Le jardin japonais

Lorsque le facteur m’a remis le paquet envoyé du Japon, j’ai su que Mariko, ma très chère amie n’était plus.

À l’intérieur de la boîte en carton brun grossier, une volumineuse enveloppe réalisée en origami. Le papier, une déclinaison de formes géométriques dans les tons de vert évoquait la forêt. Délicat et beau, comme tout ce que Mariko touche. Cette enveloppe en contenait trois autres écrites de ma main.

Un mot accompagnait l’envoi.

 

Juin 2012

Chère Madame Dusapin,

Ma grand-mère, décédée paisible, il y a quelques jours a exprimé le désir que vous retrouviez votre ancienne correspondance.

Je vous en souhaite une bonne réception et vous prie de croire à mes salutations respectueuses.

 

Kenichi

Je reconnaissais le ton très formel et distant du petit-fils de mon amie que j’avais rencontrée lors de mon voyage au Japon, en été 1963. J’ai eu la chance d’effectuer une résidence d’artiste au Japon durant trois mois. C’est à cette occasion que j’avais connu Mariko, notre professeure d’art floral et de cérémonie du thé. Sa générosité et son savoir avaient à jamais modifié ma manière de peindre. J’osais quitter la symétrie pour rejoindre de légers déséquilibres qui attiraient l’œil et rendait mes tableaux plus attractifs. À un autre niveau, j’avais été séduite par la philosophie bouddhique qui calmait quelque peu ma personnalité explosive.

J’ai pris l’enveloppe portant son nom et l’ai ouverte.

 

Juin 1970

Chère Mariko,

Hier soir, j’ai enfin terminé le jardin japonais dont nous avons parlé au fil des ans. J’y pense depuis que j’ai acquis cet appartement au rez-de-chaussée donnant sur un espace en friche. Il m’a fallu des mois pour le nettoyer et créer la cascade d’eau dont le son m’enchante. Il était temps de planter l’orme de Chine que tu m’as offert la veille de mon départ de Kyoto. Au fil des ans, il s’est bien fortifié et je le crois assez fort pour rester dehors toute l’année. Comme tu me l’as souvent répété, la symétrie n’est pas de mise dans votre art.

La plate-bande créée se situe proche du plan d’eau et n’est pas de forme parfaite. L’arbre y a trouvé une place sur le côté. J’ai à nouveau admiré combien ce léger déséquilibre retenait le regard. Pour terminer ce jardin, j’ai réalisé des lignes harmonieuses et régulières dans le gravier blanc. Il m’a fallu des heures pour organiser ces petits cailloux. Heureusement que mon neveu avait oublié son râteau à sable !

Dans l’enveloppe numéro I, tu découvriras le résultat dont je suis fière. La lumière orangée du soir adoucit les contrastes et révèle les différentes formes. Tu seras d’accord avec moi quant à la place que j’ai choisie pour méditer. La cascade, le bassin, le bonzaï, et les lignes sont sous mon regard. Une vraie réussite tu en conviendras !

Ce matin, lever à cinq heures trente pour ma première méditation face au jardin. Tu me connais suffisamment pour imaginer mon excitation. J’allais enfin réaliser mon rêve !

Surprise qui s’est transformée en vision d’horreur.

L’orme de Chine gisait dans le gravier, les racines à l’air, les extrémités grignotées par je ne sais quel animal. La blancheur souillée de terre noire et d’empreinte. Un seul coupable possible : le chat de ma nouvelle voisine. Je l’ai haï. La violence de mon émotion m’a sidéré. Je me croyais plus zen ! Assise face à ce carnage, j’ai pleuré. Des années de travail, balayé en une nuit !

L’enveloppe II contient les photos faites ce jour-là. Comme tu peux le constater, la lumière de midi écrase tout. Le noir et blanc accentue encore le malaise généré par la scène. Finalement le résultat des prises de vue est beau, malgré la violence qui s’en dégage. Rien de grave quand on pense qu’il ne s’agite que d’un petit jardin.

Chère amie, ma décision est irrévocable. De ce jour, je vais me concentrer sur un nouvel art : le Land Art. Tout y est éphémère et impermanent, car créé avec les éléments de la nature dans la nature elle-même. Nous en reparlerons certainement dans les années à venir.

Avec toute mon amitié,

Élodie.