A partir des dés, écrire un texte (forme libre)

par | 13 Jan 2025 | ATELIERS DU MERCREDI

La pomme et le pied

Il était une fois une armoire en chêne. Elle occupait le fond d’un grenier sombre, un grenier de solitude. Les araignées avaient tissé patiemment leurs toiles pour les accrocher aux poutres de la charpente. Au sol régnaient les souris. Établies là depuis plusieurs générations, elles se multipliaient au rythme des saisons. Sauf quelques luttes de clans, voire de rares escarmouches aux frontières, l’existence se déroulait agréablement dans l’univers de la vieille armoire. Depuis que les enfants ne montaient plus pour jouer aux dés, les journées étaient longues.

Un soir d’hiver, un remue-ménage inhabituel se manifesta dans le troisième tiroir. On ne comprit pas tout de suite d’où provenait le bruit : un cliquetis, des roulades, des entrechocs furtifs. Puis on entendit une plainte, suivie d’un cri étouffé.

– Aïe, de grâce, regardez où vous posez votre pied !

– Oh ! Pardon, je me réveille à l’instant, une crampe m’a saisi au petit orteil. Je n’ai pu réprimer le mouvement. Mais qui est là ? Qui parle ?

– Voyons ! Depuis le temps que nous sommes relégués dans ce tiroir, côte à côte ! C’est vrai que vous dormez beaucoup, vous ronflez souvent. Tout de même … Un peu d’attention à votre entourage ne vous ferait pas de mal.

– Euh …

– Vous me voyez ? Là, juste à votre gauche ?

– Mais enfin, je suis un simple pied !

– Je vous donne un indice : je suis pulpeuse, savoureuse, juteuse. Dans la vraie vie, j’ai joué un rôle essentiel dans l’histoire de l’humanité. Vous devinez ?

– Je suis un simple pied, vous m’obligez à me répéter. Je n’ai pas bonne mémoire.

– Je ne voulais pas vous froisser. Souvenez-vous, vous étiez tout près quand cela s’est passé. D’ailleurs sans vous, Eve n’aurait pas pu s’approcher de l’arbre. Sans se dresser sur vos orteils, elle n’aurait pas pu me cueillir. Voilà, ça vous revient ?

– …

₋ Vous donnez votre langue au chat ? Je suis la pomme du paradis ! Enfin, pas tout à fait. J’en suis le modèle réduit.

On entendit un premier bâillement discret, puis un deuxième, plus long, plus appuyé. La respiration se fit plus lente, le son du premier ronflement s’éleva vers les toiles d’araignée. Tout replongea dans les délices de l’hibernation. Dans leur boîte, les dés avaient retrouvé leur position. Pour ne pas déranger les rêves de la pomme, le petit pied s’était placé un peu à l’écart.

On entendit encore un frottement sur la paroi extérieure du grenier. A VENDRE. Le vent jouait avec le panneau. L’armoire en chêne poussa un soupir.